Scandale dans le monde de la recherche mathématique
Une récente controverse a montré que des chercheurs peu scrupuleux ont manipulé les statistiques de leurs publications.
Culture
Publié le :
31/12/2023
La collaboration devrait être la pierre angulaire de la recherche scientifique, préférable à une compétition malsaine, nourrie par les guerres d’ego et l’appât du gain. De ce fait, il est crucial de déterminer des moyens de distinguer les travaux anecdotiques des études les plus significatives, susceptibles de laisser une marque indélébile dans l'Histoire, en transformant notre civilisation. Afin de garantir la solidité du socle scientifique, chaque publication doit s'appuyer sur des découvertes validées lors d’un processus draconien et méticuleux : la relecture par les pairs. Cette démarche, fondamentale dans la science moderne, vise à assurer la qualité méthodologique des recherches et à générer une métrique essentielle pour évaluer l'impact d'une publication : le nombre de citations. Cependant, ce système, bien que robuste et ayant fait ses preuves des siècles durant, est loin d’être infaillible. Une récente controverse a mis en lumière les limites ce processus...
Qu'est-ce qui confère aux mathématiques leur réputation de science solide et rigoureuse ? La force de cette discipline repose sur un édifice collaboratif, le fruit d'efforts collectifs et intergénérationnels déployés par l'ensemble des mathématiciens au fil du temps. Cette collaboration continue a permis d'établir un socle scientifique robuste, caractérisé par des normes draconiennes de vérification et de validation. Afin de préserver l'intégrité de ce socle, chaque publication mathématique doit subir un processus rigoureux de relecture par les pairs. Wikipedia a d'ailleurs pris l'idée de l'évaluation par les pairs et l'a appliquée à l’échelle planétaire, devenant ainsi la référence anglaise la plus importante en moins de 10 ans.
La relecture par les pairs implique qu'un panel d'experts examine méticuleusement la méthodologie, l'interprétation et les conclusions des chercheurs avant qu'une publication ne soit validée.Cette démarche, fondamentale dans toutes les sciences modernes, est particulièrement puissante dans le monde des mathématiques. En effet, contrairement aux autres disciplines, soumis aux conditions des dispositifs expérimentaux (comme la physique) et offrant une certaine marge d’interprétation (comme la psychologie), les énoncés mathématiques sont manichéens : ils sont soit vrais, soit faux. Il n’y a pas de place pour la nuance ou la demi-mesure !
Ce processus vise à assurer la qualité des recherches et à générer une métrique essentielle pour évaluer l'impact d'une publication : le nombre de citations. Plus un article est cité, plus il a de “poids” auprès des chercheurs, et plus son ou ses auteurs gagnent en prestige académique... et en subventions pécuniaires !Cependant, ce système, bien que robuste, n'est pas infaillible... Récemment, des chercheurs peu scrupuleux semblent avoir artificiellement gonflé leurs statistiques en citant abondamment les travaux de leurs collègues de la même institution.
Leurs universités (dont certaines ne semblent même pas avoir de département de mathématiques) produisent désormais un nombre colossal d'articles mathématiques fortement cités.Un nombre qui surpasserait celui produit par les mastodontes du genre, telles que les universités de Stanford, Harvard... et même Princeton ! Ces "cartels de citations" semblent chercher à améliorer sournoisement le classement de leurs universités, selon des experts en pratiques de publication.
Cette découverte résulte d’un travail d’investigation de longue haleine, qu’on doit à Domingo Docampo, un mathématicien qui s’intéresse depuis longtemps aux systèmes de classement universitaire. Au cours des dernières années, Docampo a remarqué que la liste des chercheurs fortement cités était petit à petit envahie par des mathématiciens inconnus au bataillon ! En effet, le microcosme des mathématiques est relativement étroit, avec un nombre limité de chercheurs et une production d’articles moins abondante par rapport à d’autres disciplines. "Il y avait des gens qui publiaient dans des revues qu’aucun mathématicien sérieux ne lit, dont le travail était cité par des articles qu’aucun mathématicien sérieux ne lirait, venant d'institutions que personne ne connaît en mathématiques." d'après Domingo Docampo.
Il a donc décidé d'explorer méticuleusement les données des 15 dernières années, et ce qu’il découvrit fut pour le moins... surprenant ! Entre 2008 et 2010, l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA) et Princeton produisaient le plus grand nombre d'articles mathématiques fortement cités (définis comme le top 1% en nombre de citations), avec 28 et 27, respectivement. Mais entre 2021 et 2023, des institutions ayant historiquement peu de tradition mathématique, basées pour la plupart en Chine, en Arabie Saoudite et en Égypte, les avaient supplantées ! Au cours de cette période, l'Université médicale de Chine à Taïwan est arrivée en tête de liste avec un nombre impressionnant de 95 articles mathématiques fortement cités... contre aucun il y a une décennie ! Docampo a également constaté que les études faisant référence à des articles fortement cités étaient régulièrement publiées dans des revues prédatrices, qui ne respectent pas les normes éthiques et les critères de qualité associés aux revues scientifiques légitimes. Ces revues, motivées par l’appât du gain plutôt que par la promotion de la recherche légitime, ont des comités de relectures très laxistes... voire inexistants !
Cette controverse met en lumière les limites du système actuel. Les pratiques d'évaluation se doivent d’évoluer pour faire face aux nouveaux défis, notamment avec l’essor de l’IA et sa capacité à produire des articles qui ont l’air tout à fait légitime... en surface.L'intégrité de la discipline repose sur sa capacité à s'adapter tout en préservant les principes fondamentaux qui lui confèrent toute sa robustesse et sa pureté.Cela nécessitera une réflexion approfondie sur les mécanismes d'évaluation et la promotion de normes éthiques exigeantes dans la recherche mathématique.